Les rentiers de l’Etat
Des milliers de hauts fonctionnaires ou de membres de la société civile sont des emplois fictifs, grassement payés à ne rien faire en remerciement de bons et loyaux services par les leaders politiques de droite et de gauche. Ce n’est pas un scoop, mais mis bout à bout, c’est un remède à l’amour… de la politique. Voici les premières pages de la dernière enquête du journaliste Yvan Stefanovitch sur le sujet. Une année d’enquête dans les palais parisiens de la République nous a conduits dans un monde merveilleux, légal, mais tout à fait scandaleux. Celui des “hauts fonctionnaires absolument débordés” que nous appellerons également ici avec un zeste d’ironie “fonctionnaires hauts absolument débordés”. Haut fonctionnaire publique territoriale, Zoé Shepard avait fait partie de cette espèce à Bordeaux. Elle avait décrit ce monde, où il faut faire semblant de travailler, dans son ouvrage ‘Absolument dé-bor-dée ou le paradoxe du fonctionnaire’. Dans la capitale, la petite troupe des hauts fonctionnaires d’État absolument débordés recrute bien sûr dans la caste incontournable des énarques titulaires d’un emploi à vie à la sortie de leur école. En “deuxième choix” parmi l’autre catégorie des énarques, ceux recrutés au tour extérieur au sein des fonctionnaires ayant une dizaine d’années d’ancienneté. Et enfin et surtout parmi les personnels les plus privilégiés. Nommés de manière discrétionnaire par le président de la République, une prérogative essentielle du monarque républicain sous la Ve?République, ils ont deux origines. Pour reprendre les expressions consacrées, ils sont désignés soit “au tour extérieur” soit “à la discrétion du gouvernement”, sans la moindre justification ou condition. Pour être appelé par le prince et faire partie des hauts fonctionnaires nommés au “tour extérieur”, il n’y a également aucune obligation de diplôme ou de statut, mais une seule exigence?: être âgé de quarante-cinq ans au moins. Le “tour extérieur” se différencie des désignations “à la discrétion du gouvernement”. Selon la loi, ce “tour extérieur” n’a rien à voir avec une nomination politique contrairement aux désignations d’ambassadeurs et de préfets qui sont assumés en tant que tel. Ce qui est une aimable plaisanterie d’une hypocrisie rare… La petite troupe de fonctionnaires hauts absolument débordés nage comme un poisson dans l’eau parmi les ambassadeurs, les préfets en mission de service public, les généraux de gendarmerie, certains chefs de service à Bercy, les inspecteurs généraux des finances, de l’éducation nationale, des affaires sociales, les conseillers d’État, de la Cour des comptes et les contrôleurs généraux des finances. Nous en avons même retrouvé des représentants au sein d’une assemblée consultative de la République, le Conseil économique social et environnemental (Cese). Une institution de la République qui ne sert à rien, sinon à rétribuer discrètement des syndicalistes et des élus naufragés du suffrage universel ou sans mandat. Le Cese sert d’alternative à la haute fonction publique lorsque celle-ci ne peut accueillir un personnage à remercier ou à dédommager. Sur un effectif total d’environ 2?000 personnes au sein des plus grandes institutions de contrôle et d’inspection de la République, la petite troupe des fonctionnaires hauts et assimilés absolument débordés en regroupe environ le quart. Ce qui représente près de 1?000 emplois pratiquement fictifs, rémunérés mensuellement pour la plupart entre 7?000?et 20?000 euros net. Une fourchette qui s’élève ainsi jusqu’aux plus hauts salaires de la fonction publique à l’exception des présidents des administrations et agences de l’État, dont le salaire mensuel flirte avec les 30?000?euros net, selon la loi. Une enquête systématique à base d’entretiens et de statistiques officielles nous a permis d’identifier plusieurs personnalités publiques et politiques parmi ces fonctionnaires hauts absolument débordés. Divisée en trois catégories, cette sorte de tribu témoigne d’un système beaucoup plus essentiel, organisé et sophistiqué qu’un simple réseau de recasés de la République, à base de victimes du suffrage universel et de proches ou amis de l’Élysée. La première catégorie regroupe ceux qui font ou ont fait semblant de travailler en assurant une sorte de service vraiment minimum?: l’ex-Premier ministre Édouard Balladur?; les écrivains Régis Debray et Érik Orsenna?; l’ancienne ministre de la Culture Christine Albanel?; l’ex-conseiller en communication de Michel Rocard Pierre Zémor?; l’ancien ministre de la Défense François Léotard?; l’avocat Arno Klarsfeld?; la fille d’un très proche ami de François Mitterrand Paule Dayan?; l’ex-secrétaire d’État UMP à la Jeunesse Jeannette Bougrab?; le conseiller d’État Jean-Baptiste de Froment?; l’ex-président du Conseil général de l’Essonne, Jérôme Guedj?; le bras droit de Martine Aubry, Pierre de Saintignon?; l’ancien conseiller de François Hollande Aquilino Morelle?; l’ex-conseiller général PS de l’Oise Bertrand Brassens?; l’ancien conseiller de François Hollande Aquilino Morelle?; le député Jean-Yves Le Drian battu aux législatives de 1993?; les anciennes ministres Dominique Voynet et Dominique Bertinotti…