L’Europe en panne
Les alarmes retentissent depuis un bout de temps à tous les étages de cette Union inachevée. Même Michel Rocard est formel?: “l’Europe, c’est fini, on a raté le coche”. À la troisième vague, les digues risquent en effet de céder. Nous y sommes presque. Alors que la zone euro a failli sombrer avec la Grèce et que la déferlante des migrants n’en est qu’à ses débuts, la montée du vote anti-européen menace directement le fonctionnement de l’Union à vingt-huit. En France certes, le vote du Front national est resté aux portes des conseils régionaux, mais il a fallu une alliance inédite gauche-droite pour lui couper la route. Partout ailleurs aussi dans l’Union, le vote populiste gagne du terrain. “L’Europe risque de s’écrouler comme l’Empire romain sous la poussée des migrants”, affirme le chef du gouvernement néerlandais Mark Rutte. Les deux cerveaux “fédéraux” de Bruxelles ne cherchent plus de leur côté à cacher leur effroi. Jean-Claude Juncker, président de la Commission?: “l’euro peut disparaître dans les décombres de Schengen”. Martin Schulz, président du Parlement européen?: “la désolidarisation gagne le champ politique intergouvernemental”. C’est l’alerte rouge sur tous les fronts de l’action publique européenne. Il n’y a là aucune surprise pour les détracteurs. À force de s’enfoncer dans les diktats bureaucratiques et les dysfonctionnements, la technocratie bruxelloise a récolté ce qu’elle a semé. “Jean-Claude Juncker, président de la Commission?: “l’euro peut disparaître dans les décombres de Schengen”. Martin Schulz, président du Parlement européen?: “la désolidarisation gagne le champ politique intergouvernemental” Inexorablement, elle est rendue responsable de la méforme économique du continent et des dégâts d’une politique non coopérative – même si c’est par la faute des États. Est-il encore temps d’inverser ce cours de l’histoire qui semble fatal au projet d’une “union sans cesse plus étroite entre les peuples européens”?? Tel est l’objectif inscrit en toutes lettres, depuis 1957, dans le préambule du traité de Rome. En fait, personne n’imagine qu’un “Charlemagne” va soudain arriver et unifier toutes les principautés… C’est pourquoi la solution est de remiser au magasin des accessoires tout ce qui ressemble à des amputations de souveraineté étatique, et de mettre le turbo sur l’approfondissement économique pour le bien commun des peuples. C’est la seule porte de sortie à ouvrir en face d’une conjonction sans précédent de chocs systémiques. Le choc le plus spectaculaire concerne l’arrivée de millions de migrants aux portes de l’Union – du jamais vu depuis la Seconde guerre mondiale. Elle a pris de court le très fragile filet de protection posé par le système de Schengen. Celui-ci comprend 22 États membres de l’Union européenne plus la Suisse, la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein. Son principe est simple?: au nom de la libre circulation des personnes et des marchandises, les frontières intérieures à l’espace des adhérents sont supprimées, seules subsistent les frontières extérieures. De ce fait, la Grèce notamment se retrouve en première ligne – avec le handicap supplémentaire d’avoir une frontière maritime très proche de la Turquie qui gère à sa guise les arrivées de migrants chez son voisin. Chacun a pu voir qu’Athènes est incapable d’assurer le contrôle d’un tel flux, et encore moins celui de quelques terroristes potentiels. Cela aura suffi à décrédibiliser “l’esprit de Schengen” aux yeux des opinions publiques. “Vu de Bruxelles, c’est le drame absolu. Pas tant pour le drame humanitaire des réfugiés que pour les cassures en cascade nées au cœur de l’Union européenne” Vu de Bruxelles, c’est le drame absolu. Pas tant pour le drame humanitaire des réfugiés que pour les cassures en cascade nées au cœur de l’Union européenne. Les pays de l’Est, Pologne en tête, ont ainsi refusé d’accueillir des quotas de migrants comme l’a demandé l’Allemagne d’Angela Merkel. Au passage, Berlin a été accusé de ne penser qu’à sa balance démographique déficitaire. Globalement, l’application des règles du droit d’asile est bafouée et se fait dans le désordre. Plus grave, la réaction logique de différentes capitales – dont la France – a été de décider d’instaurer un contrôle ponctuel aux frontières nationales (légal dans le cadre de Schengen). Qu’il reste aléatoire et symbolique ne change rien au retour en force de la légitimation des barrières et de la mise en cause de la liberté de circulation. Ce qui revient à saper les fondements du marché unique qui est le cœur de l’Europe. C’est un danger mortel. Bruxelles fait face également à une série de secousses qui ne sont de basse intensité qu’en apparence. La Hongrie a défrayé la chronique pour avoir fermé sa frontière aux migrants après avoir refusé d’accorder le moindre visa. Las, le réflexe protectionniste n’est plus cantonné aux pays périphériques de l’Union. Le 3?décembre dernier, les Danois ont dit non par référendum à une coopération renforcée avec l’Union européenne pour les affaires de police et de sécurité. Par peur de perdre leur souveraineté sur le front de l’immigration. De leur côté, les Pays-Bas vont organiser début 2016 un référendum d’initiative citoyenne sur le traité d’association avec l’Ukraine. Ce qui préfigure des consultations pour toutes les grandes décisions, y compris sur le futur traité transatlantique. Blocages en vue… La zone euro est de son côté en permanence sur la sellette pour excès d’austérité. Pure faribole dans le cas de la France qui continue allègrement d’accumuler des déficits publics plus proches des 4?% de PIB que des 3?%. En revanche, il est exact que la concomitance de la réduction des déficits structurels dans plusieurs pays ne favorise pas la croissance. Parallèlement, la divergence de compétitivité entre le sud et le nord de la zone s’incruste et pousse l’Allemagne à réorienter son commerce hors zone euro – là où la demande est dynamique. Les États-Unis sont maintenant le premier partenaire commercial de Berlin devant Paris.